Les manifestants sont descendus à nouveau dans les rues mardi en Turquie. Plus de 1400 personnes ont été arrêtées depuis le début d'une vaste fronde déclenchée par l'arrestation du maire d'Istanbul Ekrem Imamoglu, principal rival du président Recep Tayyip Erdogan
Des dizaines de milliers de personnes ont pour le septième soir consécutif convergé devant l'hôtel de ville d'Istanbul à l'appel de l'opposition, poursuivant une contestation d'une ampleur inédite depuis le mouvement de Gezi, parti de la place Taksim d'Istanbul, en 2013.
Des milliers d'étudiants, la plupart le visage masqué de peur d'être identifiés par la police, ont également défilé mardi soir sous les applaudissements de riverains dans un arrondissement de la rive européenne de la ville dont le maire a lui aussi été incarcéré, ont constaté des journalistes de l'AFP.
Et le chef du Parti républicain du peuple (CHP), Özgür Özel, principale force de l'opposition turque, a appelé à un très large rassemblement samedi à Istanbul en soutien au maire emprisonné de la ville, Ekrem Imamoglu.
Près de 1500 arrestations
Un total de 1418 personnes accusées d'avoir participé à des manifestations, interdites depuis la semaine passée dans les trois plus grandes villes du pays, ont été arrêtées depuis le 19 mars, ont annoncé les autorités.
Dans ce contexte, un tribunal d'Istanbul a ordonné mardi le placement en détention provisoire de sept journalistes turcs, dont un de l'Agence France-Presse, accusés eux aussi de participation à des rassemblements, interdits depuis la semaine passée dans les trois plus grandes villes du pays.
Photographe de l'AFP
Le PDG de l'AFP, Fabrice Fries, a appelé mardi la présidence turque à 'la libération rapide' de son photographe.
'Yasin Akgül ne manifestait pas, il couvrait comme journaliste l'un des nombreux rassemblements organisés dans le pays depuis le mercredi 19 mars', a-t-il fait valoir.
'Situation gravissime en Turquie'
L'ONG Reporters sans Frontières a elle condamné une 'décision scandaleuse (qui) reflète une situation gravissime en cours en Turquie', affirmant qu'il s'agit de 'la première fois que des journalistes dans l'exercice de leurs fonctions sont envoyés en détention sur la base de cette loi contre les rassemblements'.
Au total, 979 manifestants se trouvaient mardi en garde à vue, tandis que 478 personnes avaient été déférées devant des tribunaux, a annoncé le ministre turc de l'Intérieur, Ali Yerlikaya.
Interdiction de manifester prolongée
Face à la poursuite de la contestation née de l'arrestation de M. Imamoglu, accusé de 'corruption' - ce qu'il réfute -, le gouvernorat d'Ankara, la capitale, a prolongé jusqu'au 1er avril inclus une interdiction de manifester.
Les autorités ont pris une décision similaire à Izmir, troisième ville du pays et bastion de l'opposition, jusqu'au 29 mars. Une même interdiction est en vigueur depuis six jours à Istanbul, où plusieurs dizaines de milliers de personnes le bravent chaque soir pour converger devant le siège de la municipalité.
'Terreur de la rue'
'Nous ne pouvons pas livrer cette patrie céleste à la terreur de la rue', a lancé mardi soir le président Erdogan.
'Si vous aviez commis dans un pays occidental le millième des actes de vandalisme que vous avez commis dans notre pays, vous ne savez pas ce qu'il vous serait arrivé', a-t-il ajouté en accusant les manifestants d'attaquer la police et de 'brûler les rues et les cours des mosquées'.
Signe de l'onde de choc déclenchée par l'arrestation pour 'corruption' de M. Imamoglu, des manifestations ont eu lieu la semaine passée dans au moins 55 des 81 provinces du pays, selon un décompte de l'AFP.
'Trois lions'
'C'est notre responsabilité historique en tant que jeunes de descendre dans la rue', a déclaré à l'AFP Kerem Gümre, un étudiant 23 ans.
'Si vous frappez un jeune avec une matraque ou le visez avec du gaz lacrymogène ou une balle en caoutchouc ce soir, je vous demanderai des comptes', a lancé mardi soir Özgür Özel, le chef du CHP, à l'endroit de la police.
M. Özel s'était rendu plus tôt à la prison de Silivri, en lisière d'Istanbul, où sont incarcérés depuis dimanche le maire de la ville et 48 co-accusés, parmi lesquels deux maires d'arrondissements également membres du CHP, qui ont eux aussi été officiellement déchus.
'J'ai rencontré trois lions à l'intérieur. Ils sont debout, la tête haute (...), tels des lions', a-t-il déclaré à la sortie de la prison.
Le Conseil de l'Europe, qui a débattu mardi de la situation en Turquie, a dénoncé un 'recours disproportionné à la force' lors des manifestations dans le pays et appelé les autorités à respecter leurs obligations en matière de droits humains'.
L'ONU a également exprimé mardi son inquiétude face aux arrestations dans le pays, se disant 'très préoccupée'.
Appel au boycott
Le CHP a lui appelé au boycott d'une dizaine d'enseignes turques réputées proches du pouvoir dont une célèbre chaîne de cafés: 'Le café on peut le faire nous-mêmes', a lancé M. Özel.
/ATS