Une Commission indépendante critique le Ministère public (MP) vaudois dans l'affaire Nzoy, un Zurichois de 37 ans tombé sous les balles d'un policier à Morges en août 2021. Elle a dénoncé vendredi le fait que celui-ci entende rendre une ordonnance de classement.
Elle demande 'instamment' au procureur général adjoint Laurent Maye qu'il poursuive tant l'homicide par négligence que l'omission de prêter secours. Car à ce stade, selon elle, le MP estime qu'on ne peut pénalement rien reprocher au policier qui a tiré à trois reprises sur la victime ni aux trois autres policiers présents sur les lieux du drame qui auraient tardé à porter secours à Nzoy.
Cette commission d'experts constituée en mai pour faire la lumière sur les circonstances de sa mort a donc présenté devant les médias au Théâtre de Lausanne-Vidy les résultats préliminaires de son enquête. Celle-ci a été menée en collaboration avec Border Forensics, agence de recherche et d'investigation basée à Genève.
Issue de la société civile, la commission est interdisciplinaire et se compose de spécialistes du droit, de la médecine, de la médecine légale et des sciences sociales. Elle travaille bénévolement en étroite collaboration avec la famille de Nzoy et de son avocat Ludovic Tirelli.
Reconstitution ordonnée et chronologique
Ses premiers résultats se concentrent sur la phase de l'omission de prêter secours. La suite de l'enquête se penchera sur celle de l'homicide, afin d'écarter l'hypothèse de la légitime défense.
Le petit film dévoilé vendredi reconstitue 8 minutes de faits précis qui se sont déroulés le 30 août 2021 sur le quai numéro 4 de la gare de Morges, après que Nzoy est tombé sous les balles d'un agent. Selon l'enquête du MP, la victime, qui souffrait de problèmes psychologiques, aurait menacé les policiers avec un couteau sur le quai de la gare. Le Zurichois était décédé sur place.
Dans un premier temps, la police avait indiqué qu'elle l'avait immédiatement secouru. Les forces de l'ordre sont toutefois revenues sur cette version, expliquant que le premier geste de réanimation avait été prodigué par un infirmier présent sur les lieux, plus de quatre minutes après le dernier tir. En attendant l'ambulance.
Le film compile minutieusement et chronologiquement plusieurs images, extraits de vidéos et sons audios pour apporter 'une nouvelle manière de présenter les choses, avec un document permettant de mieux analyser, expliquer et comprendre les preuves', a résumé l'avocat de la famille Ludovic Tirelli.
Sécurité privilégiée aux premiers soins
Nzoy a été laissé sur le ventre pendant six minutes et demie sans que le policier qui lui a tiré trois balles dessus ni que les trois autres policiers impliqués ne lui prodiguent au plus vite les premiers soins. La vidéo montre que les policiers ont d'abord écarté l'arme blanche et menotté la victime. La position latérale semble avoir été effectuée tardivement, selon les images.
La Commission et Border Forensics estiment que 'les mesures de sécurité ont été privilégiées aux mesures de sauvetage et de réanimation', sans qu'aucun des policiers ne se 'préoccupe de l'état de santé' de la victime. Le film montre aussi au moins trois petits mouvements physiques et respiratoires de Nzoy pendant qu'il était laissé à terre et l'inaction des policiers.
'Très confiant' en vue d'un procès
Interrogé par Keystone-ATS, le Ministère public vaudois a indiqué que l'instruction pénale ouverte 'est toujours en cours et qu'aucune décision n'a été rendue à ce jour'. Les policiers et plusieurs témoins ont déjà été auditionnés.
'En date du 10 octobre 2023, le Ministère public a adressé un avis de prochaine clôture aux parties à la procédure, leur laissant un délai d'un mois pour envoyer leurs réquisitions de preuves', a répondu son responsable de communication Vincent Derouand.
Ce qui a été fait, selon Me Tirelli. 'Nous avons envoyé hier jeudi ces résultats préliminaires avec le film et un rapport d'expertise sur la question de l'omission de prêter secours ainsi que diverses réquisitions concernant aussi la question de l'homicide', a-t-il dit.
L'avocat de la famille s'est dit 'très confiant' que l'affaire Nzoy sera, au final, portée devant un tribunal pour un procès. En cas d'ordonnance de classement, Me Tirelli fera recours auprès de la Cour d'appel pénale du Tribunal cantonal et ira jusqu'au Tribunal fédéral s'il le faut.
/ATS