Le racisme n'épargne pas le sport. A l'occasion de la Coupe du monde de football en Russie, la Commission fédérale contre le racisme (CFR) fait le point. Si la provocation semble relativement admise par les dirigeants, le malaise est palpable chez les athlètes.
Les cas graves de racisme restent l'exception en Suisse. Mais pas plus tard que dimanche dernier, une bagarre a explosé à la fin d'un match de football à Versoix (GE) à la suite d'une insulte raciste sur le terrain. Un joueur gravement blessé a fini à l'hôpital. Pour Martine Brunschwig-Graf, présidente de la CFR, un 'examen honnête et lucide' de la situation s'impose.
Pour l'ancienne parlementaire fédérale, il est temps de reconnaître que le monde du sport n'échappe pas aux manifestations de racisme et de discrimination, telle l'homophobie. Cette étape est en effet indispensable avant d'appliquer des mesures de prévention, indique-t-elle dans le dernier numéro de la revue Tangram, intitulée 'Sport et racisme'.
Préjugés
Or dans le milieu du sport, les avis divergent sur l'existence même du problème. Le joueur de la Nati Gelson Fernandes, qui a récemment été victime d'insultes racistes après une faute lors d'un match en Allemagne, est d'avis qu'en matière de lutte contre le racisme, le football stagne, car les sanctions ne sont pas assez sévères.
D'autres athlètes suisses rapportent dans la revue Tangram avoir été témoins ou directement la cible de propos racistes. 'Concernant les discriminations, j’en ai vu toute ma carrière, du genre 'les joueurs noirs sont plus athlétiques, les Blancs plus intelligents'', déclare l'ancien basketteur de Boncourt Nicolas dos Santos.
Pas une priorité pour l'ASF
Cette perception n'est pas du tout partagée par Dominique Blanc, vice-président de l'Association suisse de football (ASF) et président de la Ligue amateur du football suisse. 'Le racisme n'est pas un problème prioritaire ou grave pour nous', indique-t-il à Tangram.
'L'ASF a sérieusement empoigné cette problématique il y a plus de 20 ans. Des sanctions pour propos et comportements racistes ont été introduites en 1997. Un écart de conduite peut valoir de trois à cinq matchs d'arrêt', selon M. Blanc. D'après lui, le catalogue de mesures est largement suffisant.
Au contraire, M.Blanc estime que le football est bien davantage un vecteur d'intégration. Sur les 300'000 licenciés en Suisse, la moitié possède un passeport étranger, rappelle-t-il.
Cette sérénité dans le monde helvétique sportif se reflète dans la base de données Hooligan. Actuellement, il n'y a pas un seul supporter de football ou de hockey enregistré au motif d'une infraction à l'article 261bis du Code pénal suisse.
Scène hooligan il y a 20 ans
Alors qu'il y a 20 ans, la Suisse connaissait encore des groupements de hooligans et de skinheads dans ses stades, notamment à Bâle, Berne, Genève, Lugano et Zurich, cette présence extrémiste décline depuis le tournant des années 2000, explique Thomas Busset, du centre international d'étude du sport à Neuchâtel.
Le durcissement de la répression, la construction de nouveaux stades attirant un autre public et les campagnes antiracistes en Europe y ont largement contribué.
Mais à l'instar de ce qui s'est passé à Versoix ou en février 2015 à St-Gall, quand un des supporters du FC Lucerne a défilé déguisé en rabbin pour dénigrer l'équipe adverse, les dérapages sont encore bien présents. Pour M.Busset, le fait que la presse s'y intéresse et dénonce ce type de comportement peut aider à une prise de conscience collective.
Le sport, un milieu à part
De manière plus large, le sport, contrairement à l'espace public, est l'un des derniers lieux où le racisme s'exprime publiquement et trop souvent impunément, estime Patrick Clastres, sociologue du sport, interrogé dans Tangram. Pour lui, ce phénomène est tout aussi répandu dans le sport professionnel que parmi les sportifs amateurs.
Selon le chercheur, l'explication réside dans le monde fermé des fédérations, qui n'ont pas de comptes à rendre à la justice ordinaire. 'La lex sportiva aboutit très souvent à une loi du silence, très préjudiciable aux athlètes. Dans les gradins, le racisme est aussi très compliqué à combattre.
Le Mondial en Russie le rend pessimiste. 'Depuis la chute du Mur de Berlin, les médias ont entrepris de renationaliser les rencontres sportives', a-t-il déclaré à la radio RTS. Les équipes de foot sont redevenues des incarnations du patriotisme, 'porte d'entrée vers la xénophobie et le racisme'. Or la Russie est un pays où les lois qui protègent du racisme sont très en retard, rappelle-t-il.
/ATS