L'idée d'obliger la Confédération à distribuer 2500 francs par mois pour tous et sans travail en retour fait la quasi unanimité contre elle. Le National a recommandé mercredi le rejet de l'initiative populaire 'Pour un revenu de base inconditionnel'.
La décision est tombée par 146 voix contre 14 et 12 abstentions. Issue de milieux intellectuels, l'initiative populaire prévoit d'obliger la Confédération à instaurer un revenu de base inconditionnel (RBI) afin de permettre à tout un chacun de vivre dignement. Ses auteurs considèrent qu'il n'y a plus assez de travail pour tous et que l'Etat social n'est plus à même de remplir sa tâche. Une allocation universelle constituerait une nouvelle solution.
Les initiants proposent à titre d'exemple un revenu de 2500 francs par mois pour les adultes et de 625 francs pour les mineurs. Mais ce montant et les modalités de financement devraient être réglés au niveau de la loi. Il y a peu de chances selon eux que la Suisse se transforme en repère d'assistés non productifs. L'attrait financier du travail rémunéré persisterait.
Peine perdue. A l'instar du Conseil fédéral, la plupart des députés, tous partis confondus, n'y voient que des défauts. Avec le système actuel, les prestations sociales ciblées (assurances chômage, invalidité, aide sociale) se fondent sur les besoins des personnes concernées. Et elles ont fait leurs preuves, ont souligné les orateurs. Avec le RBI, c'est tout le système de l'Etat social qui serait révolutionné.
Un gouffre financier
L'initiative est également très coûteuse: avec les chiffres des initiants, il faudrait trouver 208 milliards de francs pour financer un tel système, a rappelé Raymond Clottu (UDC/NE) pour la commission. Il serait possible de réaffecter les 55 milliards de francs consacrés aux prestations de sécurité sociale. Mais il faudrait dégager 153 milliards, soit 26% du PIB national, en impôts nouveaux.
L'impôt sur le revenu provenant d’une activité lucrative devrait augmenter, pour permettre de dégager 128 milliards. Environ 25 milliards devraient provenir d’autres taxes et impôts. Il faudrait par exemple relever la TVA d’environ huit points, la faisant doubler, à quelque 16%.
'L'initiative est trop floue, rien n'est défini de manière concrète', a critiqué Daniel Stolz (PLR/BS). Si elle est acceptée, on mènera des débats interminables au Parlement sur le montant du revenu de base, pronostique-t-il, la droite ne voulant pas placer la barre trop haut et la gauche trop bas.
Le texte annonce la fin de la responsabilité individuelle, a résumé Sebastien Frehner (UDC/BS). Il aura pour conséquence de freiner la croissance économique, diminuer la valeur de l'emploi, augmenter les impôts et pousser aux délocalisations, selon le PBD.
Gauche divisée
Même la gauche n'est pas convaincue par l'initiative. Pour le PS et les Verts, elle apporte les mauvaises réponses à de bonnes questions. Le revenu de base revient à considérer que toute une catégorie de gens, tels les handicapés, les jeunes qui ont décroché ou les marginaux, ne peuvent plus être intégrés au monde du travail, une posture inacceptable, selon Jean Christophe Schwaab (PS/VD). Tout le système suisse vise au contraire à réintégrer les personnes vulnérables.
Pis, le revenu garanti risque de mettre les bénéficiaires de prestations sociales dans une situation précaire, s'est inquiétée Marina Carobbio Guscetti (TI). Il faut au contraire un réseau social sûr et fiable pour les plus mal lotis.
Pour les Verts, le texte pourrait aussi conduire à une baisse des salaires, selon le Vaudois Christian van Singer. Il faut plutôt développer des formes de travail innovantes comme le télétravail ou le job-sharing.
Une réflexion de fond
Seuls quelques socialistes et Verts ont défendu cette utopie, car elle ouvre une réflexion de fond. 'A quoi sert le travail et à qui profite-t-il vraiment', a demandé Ada Marra (PS/VD) qui ne se fait cependant aucune illusion sur l'issue du texte, tant aux Chambres que devant le peuple.
Les prestations sociales sont de plus en plus conditionnées à des efforts pour retrouver un emploi. Le travail se raréfie avec la robotisation. Changer radicalement de modèle économique est 'la seule voie qui offre une raison d'espérer', selon la Vaudoise. Pour Pierre-Alain Fridez (PS/JU), il faut remettre l'humain au centre.
Après avoir évoqué Friedmann, Kant et Trotsky, parlé cohésion sociale, valeurs humaines, il faut retenir de l'initiative qu'elle remettrait en cause le système d'une manière difficilement prévisible, a contré, réaliste, le conseiller fédéral Alain Berset.
Le texte ne simplifierait en rien la situation, car il faudrait maintenir toute une panoplie d'assurances.
Le dossier passe au Conseil des Etats.
/ATS