La police turque a arrêté le rédacteur en chef du principal quotidien d'opposition Cumhuriyet, Murat Sabuncu, ont annoncé lundi la chaîne CNN Türk et d'autres médias turcs. Une douzaine de dirigeants et de journalistes du média ont été placés en garde à vue.
Le journal a annoncé que 16 mandats d'arrêt avaient été délivrés au total. Les policiers ont perquisitionné les domiciles de plusieurs figures de Cumhuriyet, dont Akin Atalay, président du directoire, du journaliste Güray Oz et du caricaturiste Musa Kart.
'C'est une purge sans limites', a réagi sur Twitter le directeur général de l'ONG Reporters Sans Frontières (RSF), Christophe Deloire. Nombre de lecteurs du journal appelaient sur les réseaux sociaux à se réunir à midi devant le siège du journal à Istanbul, où se trouvaient déjà plusieurs dizaines de personnes, dont de nombreux élus de l'opposition.
A Genève, la Fondation du Prix Nobel alternatif a demandé la libération immédiate des détenus de Cumhuriyet, lauréat de la distinction cette année.
Enquêtes embarassantes
Ces arrestations sont la dernière mesure en date prise dans le cadre des vastes purges déclenchées en Turquie qui ont touché de plein fouet la presse, avec la détention de dizaines de journalistes et la fermeture d'une centaine de médias.
Elles surviennent deux jours après un décret paru samedi soir au Journal officiel de décrets annonçant le limogeage de 10'000 fonctionnaires et la fermeture de 15 quotidiens, magazines et agences de presse, basés pour la plupart dans le sud-est à majorité kurde de la Turquie.
Cumhuriyet, dernier grand quotidien d'opposition turc, a multiplié les enquêtes embarrassantes pour le pouvoir. A son actif, notamment, la publication de l'un des plus gros coups journalistiques de ces dernières années en Turquie: une enquête affirmant, vidéo à l'appui, que les services secrets turcs ont fourni des armes à des rebelles islamistes en Syrie.
A la une de son édition de lundi, Cumhuriyet dénonce un 'Coup contre l'opposition' en référence à la parution de deux décrets samedi annonçant la fermeture de plusieurs médias prokurdes et la suppression des élections de recteurs d'universités, qui seront désormais choisis par M. Erdogan.
Déni des autorités
Ces arrestations se font dans le cadre d'une enquête pour 'activités terroristes' en lien avec le mouvement du prédicateur Fethullah Gülen - accusé d'avoir ourdi le putsch raté du 15 juillet dernier - et avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), selon un communiqué du parquet d'Istanbul, cité par l'agence de presse progouvernementale Anadolu.
Les autorités turques nient toute atteinte à la liberté de la presse en Turquie, affirmant que les seuls journalistes arrêtés sont ceux liés à des 'organisations terroristes', expression désignant, dans ce contexte, le PKK et le réseau güléniste.
Selon l'ONG turque de défense de la liberté de la presse P24, 127 journalistes, dont des vétérans comme Ahmet Altan et Nazli Ilicak, ont été mis en détention dans la foulée du coup d'Etat avorté et des dizaines de médias fermés. La Turquie est 151e au classement mondial de la liberté de la presse dressé par l'ONG Reporters Sans Frontières en 2016.
Une 'nouvelle ligne rouge a été franchie'
Estimant qu'une 'nouvelle ligne rouge a été franchie contre la liberté d'expression en Turquie', le président du Parlement européen Martin Schultz a affirmé en réaction aux arrestations de lundi que les 'purges massives en cours semblent motivées par des considérations politiques plutôt que par une logique légale ou sécuritaire'.
A Berlin le porte-parole du gouvernement allemand, Steffen Seibert a affirmé que la liberté de la presse était 'un élément central de tout Etat de droit' alors que le ministère français des Affaires étrangères a rappelé qu'elle était une 'composante essentielle de toute société démocratique'.
/ATS