La dégringolade du cours de Deutsche Bank vendredi à la Bourse de Francfort braque les projecteurs sur un établissement revenu de loin après une période chaotique et qui n'est plus perçu comme un maillon faible du système bancaire.
Première banque allemande, Deutsche Bank pointait l'an dernier au huitième rang européen en termes d'actifs, avec un total s'élevant à 1323 milliard d'euros, selon le classement S&P Global Market Intelligence.
Le groupe basé à Francfort employait en 2022 près de 85'000 personnes, dont plus de la moitié à l'étranger.
Créée en 1870, Deutsche Bank fut longtemps le bras financier du capitalisme allemand, accompagnant l'essor international des industriels de la chimie, de l'électrotechnique ou des machines-outils, comme Siemens, Krupp ou Bayer.
Sa puissance lui a permis de survivre à la crise bancaire de 1931, après les années d'hyperinflation.
Au début des années 1990, Deutsche Bank a pris un virage déterminant, souhaitant rivaliser avec les grandes banques américaines d'investissement, via plusieurs acquisitions et le développement d'une culture du risque et de la spéculation.
Le retour à des fondamentaux solides
Deutsche Bank a dégagé en 2022 son meilleur bénéfice depuis 15 ans, plus que doublé par rapport à l'an passé.
Rapporté aux fonds propres, le ratio de rentabilité nette a atteint 9,4%, dépassant l'objectif, la banque se disant confiante de pouvoir atteindre plus de 10% en 2025.
Cette performance a reposé sur une hausse des recettes de 7%, à 27,2 milliards d'euros, le meilleur niveau depuis 2016.
'La Deutsche Bank a fondamentalement modernisé et réorganisé son modèle économique et est très rentable. Il n'y a pas lieu de s'inquiéter de quoi que ce soit', a assuré Olaf Scholz vendredi à l'issue du sommet européen de Bruxelles.
La banque répond largement aux exigences de la réglementation européenne: son ratio de fonds propres obligatoires de 13,4% rapporté aux actifs à risque et des liquidités supérieures à 250 milliards d'euros doivent offrir les ressources pour faire face à des périodes de turbulences.
Il n'y a 'aucune inquiétude quant à la viabilité de la Deutsche Bank ou à la marque de ses actifs. (...) Deutsche n'est pas le prochain Credit Suisse', estimait vendredi Stuart Graham, analyste chez Autonomous.
Refonte après un lourd passé judiciaire
La croissance débridée de la banque au début des années 2000 lui a fait traverser plusieurs années chaotiques aux prises avec une litanie d'affaires judiciaires: pratiques illégales, blanchiment, manipulation de taux... Au tournant des années 2010 la banque était 'un département juridique avec une succursale bancaire rattachée', entendait-on lors d'assemblées d'actionnaires houleuses.
Les condamnations assorties de lourdes amendes s'enchaînent, un sommet étant atteint début 2017 avec 7,2 milliards de dollars versés aux Etats-Unis pour solder des poursuites sur le rôle de la banque dans la crise des 'subprimes' datant de 2007.
Pour s'en sortir, Deutsche Bank a dû faire une cure d'amaigrissement en deux temps : d'abord une réduction de quelque 7.000 d'emplois annoncée en 2018, avec une réduction de la voilure sur les marchés de capitaux.
Puis l'annonce en juillet 2019 de 18.000 suppressions de postes et l'abandon du lucratif négoce d'actions pour tiers.
Entre temps des pourparlers s'étaient tenus en vue d'une éventuelle fusion avec l'autre grand établissement allemand Commerzbank, aussi mal en point et en partie détenue par l'Etat. Un bain de sang social menaçant, les discussions ont vite été enterrées.
Christian Sewing, le redresseur maison
L'arrivée de Christian Sewing à la tête de la banque en avril 2018 est intervenue après la chute de 30% du titre depuis janvier de cette année, les marchés ne croyant plus au redressement du groupe.
Son profil en a interrogé plus d'un au départ: pur produit maison ayant démarré comme apprenti dans une agence du groupe, ce professionnel de la banque de détail était-il l'homme de la situation pour redresser la barre dans la banque d'investissement ?
Cinq années plus tard, le patron aujourd'hui âgé de 52 ans est en bonne voie de réussir son pari. Son mandat, renouvelé par avance en 2021, s'étale jusqu'en 2026.
C'est aussi en 2021 qu'il a été nommé président du lobby bancaire privé allemand, accentuant son assise auprès du monde économique et politique du pays.
/ATS