Au Parlement, les règles du jeu ont changé. Pour tenter d'influer sur l'issue des débats, les entreprises ou autres groupes d'intérêts préfèrent souvent engager leur propre lobbyiste. En face, les organisations faîtières traditionnelles perdent du terrain.
Les parlementaires sont de plus en plus courtisés par des professionnels du lobbying. Les milieux économiques recourent désormais davantage à des responsables de relations publiques pour faire valoir directement leurs intérêts auprès des parlementaires.
'Cela révèle l’essor des stratégies de lobbying individuelles des grandes entreprises, au détriment de leur engagement au sein des organisations patronales', souligne le politologue lausannois André Mach.
Sur l'ensemble des 'lobbyistes accrédités' en 2011 (382), les partis de droite ont invité 33 responsables de relations publiques au sein de grandes entreprises, selon le registre des personnes accréditées par les parlementaires.
Comme certaines entreprises ou groupes d’intérêt préfèrent financer des agences de communication extérieures pour promouvoir leur cause, des représentants de sociétés de relations publiques, telles que Burson-Marsteller ou Farner, sont une vingtaine à arpenter la salle des pas perdus. La récente affaire Markwalder, embarrassée dans ses liens avec le Kazakhstan, en est l'illustration.
Perte de vitesse des faîtières
Cette perte de vitesse des faîtières est liée au fait que les grandes entreprises et les PME partagent moins souvent les mêmes intérêts depuis la libéralisation, a précisé le chercheur Andrea Pilotti. Il devient plus difficile pour les grandes faîtières de fédérer des intérêts divergents et ensuite de se faire entendre des citoyens lors de votations.
L'USAM, qui défend les PME, est entre les mains de l'UDC Jean-François Rime. 'Les intérêts protectionnistes des PME et de l'UDC se rejoignent', souligne le chercheur. Economiesuisse défend les grandes entreprises, mais elle a perdu de nombreux scrutins récemment comme le crucial 9 février.
Les choses ont aussi changé du côté des parlementaires. En 1990, un parlementaire qui occupait un poste de cadre dans une grande organisation avait une chance sur deux de le faire pour une association patronale, syndicale et paysannes. En 2010, la proportion tombe à une sur cinq.
Concurrence entre les groupes d'intérêts
Les groupes d'intérêts se sont ainsi démultipliés, faisant concurrence aux faîtières plus traditionnelles. 'Les enjeux environnementaux et post-matérialistes (qualité de vie, droits de l'homme, aide humanitaire) ont pris une importance croissante', note André Mach.
Le déclin électoral du PRD (actuel PLR) n'est pas non plus anodin. Cela a considérablement déstabilisé les canaux traditionnels d'accès au Parlement pour les milieux patronaux. C'est lui qui historiquement entretenait le plus de liens avec les milieux économiques.
'En devenant le plus grand groupe parlementaire du Conseil national, l'UDC a rendu l'issue des débats plus incertaine que par le passé', explique le politologue. Actuellement ce sont les parlementaires UDC qui détiennent le plus grand nombre de mandats à responsabilité dans des groupes d'intérêts, loin devant le PS, le PDC , puis le PLR.
Commissions courtisées
Les commissions sont aussi le théâtre de luttes d'influence et sont particulièrement courtisées par les groupes d'intérêts. Pendant les trois dernières législatures, plus de la moitié des parlementaires dans la commission de l’économie et des redevances détenait un mandat dans une organisation économique et agricole.
De même, les parlementaires avec des responsabilités au sein de d'association faîtière des assureurs ou dans les organes dirigeants des assurances étaient surreprésentés dans la commission de la santé et des affaires sociales, avec près d'un siège sur trois.
Des outsiders profitent des nouvelles règles du jeu
Mesurer la présence et l’accès des groupes d’intérêt au Parlement ne dit toutefois encore rien sur le degré d’influence ou le pouvoir de ces groupes d’intérêt. L'importance du jeu médiatique permet aussi à des outsiders d'imposer leur vue.
Un des exemples les plus marquants reste l’initiative Minder 'Contre les rémunérations abusives', acceptée en votation populaire par 68% des votants en mars 2013. Cette initiative a été lancée par un outsider du monde patronal, Thomas Minder, entrepreneur et propriétaire d’une PME.
'Son succès est révélateur de la capacité d’un acteur marginal de gagner une importante votation populaire', conclut le politologue. Même s'il est vrai qu'il a profité de la valse-hésitation de l'UDC. Et qu'à force de louvoiements et de tactiques politiciennes au Parlement, le peuple a préféré l'original, l'initiative, à la copie, le contre-projet indirect.
/ATS