C’est l’histoire d’un homme, qui voulait retrouver les goûts et les odeurs de son enfance. Non, il ne s’agit pas de Marcel Proust et de sa célèbre madeleine, mais c’est aussi de gastronomie que l’on parle. Bernard Froidevaux a produit la Tête de moine AOP fermière pendant des dizaines d’années. Et il a voulu son produit fidèle à ses souvenirs de petit garçon : « Au niveau du goût, c’était fin, pas agressif, pas trop salé… et c’était surtout très onctueux », explique le producteur de la ferme Lafleur. Il a donc fait jouer son palais, mais a aussi sorti les grimoires pour retrouver une recette ancestrale, qui lui rappellerait la Tête de moine de son enfance. Au total, il a passé près de 25 ans à trouver la bonne recette : un fromage cuit à 44 degrés au feu de bois, affiné 120 jours… Bernard Froidevaux a fini par être convaincu du goût retrouvé. Ses clients aussi : « On me l’a souvent dit : ma Tête de moine rappelait celle des temps passés. »
"La production doit continuer dans d'autres fermes"
Après 41 ans de service et des milliers de meules de Tête de moine écoulées, Bernard Froidevaux a voulu prendre sa retraite. Mais pas question pour lui de laisser sa recette tomber dans l’oubli : « Je voulais transmettre ce savoir-faire. J’ai formé mes filles, mais elles n’ont pas le temps de reprendre mon exploitation. Du coup, je me suis dit que la production devait continuer dans d’autres fermes. »
Des jeunes gens se sont manifestés : Tiffany et Yves Maitre, de Saint-Brais, produisent déjà du lait, tout comme Elodie et Martin Marchand, qui vivent au Clos du Doubs. Véra Kalt, installée avec ses parents à Moron, gère quant à elle une petite ferme et produit déjà des fromages au lait de chèvre ou de vache. Ils sont tous motivés à faire perdurer la recette de Bernard Froidevaux, mais avant de pouvoir produire la fameuse Tête de moine, ces familles doivent réaliser des travaux dans leurs fermes respectives. Et tout cela a un coût : elles organisent donc un projet de financement participatif et espèrent récolter 30'000 francs de dons avant le 14 août pour se lancer, comme l’explique Véra Kalt : « Cet argent sera divisé par trois. Ce sera un coup de pouce, pour qu’on puisse rénover ou construire des fromageries. »
Transmettre le respect de la nature et ses produits
Un investissement matériel, mais aussi personnel pour ces jeunes fermiers, qui y voient l’occasion d’augmenter leur valeur ajoutée, grâce à un fromage de qualité. En effet, la Tête de moine de la ferme Lafleur est labellisée « produit du parc du Doubs », intégrée au sein de l’interprofession de la Tête de moine et soutenue par Slowfood, une association qui promeut des produits « bons, propres et justes ».
Pour Bernard Froidevaux, l’important est de faire perdurer sa recette mais surtout de transmettre le respect de la nature : « Si on travaille dans cet état d’esprit, on ne peut que faire un produit de qualité. » De quoi faire perdurer les souvenirs d’enfance de tous les amateurs de Tête de moine. Ainsi, ce qu’écrivait Marcel Proust, à propos du goût de la madeleine de son enfance, peut aussi s’appliquer à Bernard Froidevaux et à son fromage : « Quand d'un passé ancien rien ne subsiste (…), l'odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer (…) l'édifice immense du souvenir. » /cto